D’où viennent les histoires, dans le fond, et qu’est-ce qui nous pousse à les raconter ?
En Haute-Savoie, par un chaud après-midi de juin, un couple de bons amis nous invite à séjourner pour le week-end dans leur chalet d’Entremont, un petit village proche du Grand-Bornand et de la chaîne des Aravis.
J’apprends ce jour-là que l’endroit n’a aucun rapport avec le fromage à trous du même nom, puis qu’il s’agit d’un des hauts lieux de Résistance de la Seconde Guerre mondiale. Autour d’un verre de Génépi, on me raconte l’histoire de Tom Morel, héros du maquis, officier courageux qui a perdu la vie ici-même, dans un guet-apens, en 1944. Pour compléter le cours d’histoire, après le repas nous partons en balade sur le plateau des Glières, à quelques kilomètres à peine.
Il fait beau, le paysage est superbe, le plateau immense et verdoyant, parsemé de fleurs aux couleurs vives avec les montagnes enneigées à l’arrière-plan. Ciel bleu, vaches en troupeaux ruminant paisiblement et randonneurs énergiques avec bâtons de marche et sacs à dos, j’ai peine à imaginer qu’ici même, quelque soixante-dix ans plus tôt, les combats faisaient rage et que des dizaines d’hommes sont tombés pour la France. Le monument national de la Résistance est pourtant là pour le rappeler, ainsi que les nombreuses photos de maquisards jalonnant la promenade. Dans le regard de ces jeunes gens morts bien avant leur heure, il y a une même détermination résignée, une même tristesse qui touche au cœur.
Je ne le sais pas encore, mais Benjamin est né.
Il mettra quelques années à mûrir et à exiger que je raconte son histoire, son cas singulier. Le récit prend forme et s’étoffe, une seconde intrigue s’accole à la première et un soupçon de merveilleux s’immisce, presque par surprise, dans le quotidien un peu terne de ce garçon bien ordinaire.
Les personnages ont pris les commandes. L’auteur n’a plus qu’à écrire et à se laisser guider le long de la frontière, fragile, qui sépare le rêve de la réalité.
Extrait :
— Est-ce que tu connais la date d’aujourd’hui ? reprit-elle, le débit légèrement plus saccadé.
— Je crois qu’on est le 11.
— Le 11 quoi, Ben ?
— Le 11 juin. 2014, précisai-je, l’air entendu.
Elle cligna plusieurs fois des paupières, très vite. David aussi avait ce tic, quand il était nerveux ou fatigué.
— Tu as conscience que si nous sommes en 2014 et si je dois croire ce que tu viens de me dire, alors tu as un peu plus de cent ans ?