L’origine de notre livre Gabriële c’est : Ecrire à deux, deux soeurs, deux styles, deux voix, une enfance. Ne faire plus qu’une. Une somme, une quête, un écheveau qu’on débrouille, un chemin. Fabriquer un meuble à mille tiroirs, remplis de miroirs et de double fonds. C’est pourquoi on nait, pourquoi on vit, pourquoi on ne meurt pas. C’est raconter et non pas comprendre. C’est une absence de jugements, c’est mettre de l’ordre dans le puzzle, mais pour que le puzzle soit beau et bizarre, et pas juste un casse-tête. C’est chercher ce qu’on n’a pas choisi. C’est vivre au dessus des douleurs. C’est accompagner les morts. C’est chercher la musique qui ne se fait qu’à plusieurs. Prendre la montagne autrement. Partager la surprise et l’étonnement, casser les habitudes, raconter un destin libérateur.
Ca libère
Raconter Gabriële Buffet. Une femme-paradoxe. Austère et fantasque. Sensible et intransigeante. Si difficile à définir. Et ce constat est ce qui se rapproche le plus de sa définition. Elle n’est d’aucun code, ni de son époque, ni même de la nôtre. Plus qu’ultra moderne, elle est hors champ. Elle ne revendique aucune de ses batailles, elle ne médiatise pas. Elle ne rend de comptes à personne, elle va là où ça l’intéresse. Elle ne s’encombre ni de moral, ni de décence, ni d’altruisme, encore moins d’école de pensée ou d’idéologie, elle ne lâche sur rien. Sur rien ni personne. Elle vit pour l’intensité. Mais son intensité à elle, n’est pas dans la limite qu’on brûle, dans la peur qu’on s’inflige, dans la jouissance monstrueuse, dans la mort qu’on frôle ou la mélancolie. Son intensité est musique interne, mot qui percute et résonne et vibre, image qui déconstruit et construit ailleurs et autrement. Son intensité est dans une langue qu’elle crée, tous les jours nouvelle. Elle est une éclaireuse, mais qui se fiche des suiveurs. Elle est Prométhée qui vole le feu pour elle même, et pas pour les hommes.
Et c’est faux, elle lâche sur une personne. Francis Picabia. Ogre sans fond, un jouisseur génial, un homme qui n’appartient à personne, qui porte ses faiblesses en armures. Un instable poétique, faux narcissique, vrai emmerdeur égoïste. Qui a peur de tout, donc peur de rien. Un homme inconséquent. Un homme réellement curieux. Un homme qui transforme chaque banalité en expérience. Un vrai ami. Un salaud avec les femmes. Un infidèle, sauf à lui-même. Un paradoxe aussi, comme Gabriële. Un grand peintre sans plan de carrière. Assez virevoltant pour dépasser ses fulgurances, mais peut-être trop virevoltant pour les tenir en laisse. Pour en faire une marque. Un homme mélancolique et follement gai. Un homme qu’on ne peut qu’aimer et aimer détester.
L’origine de notre livre, c’était la volonté d’effacer l’effacement de Gabriële Buffet Picabia, et tout simplement de la rencontrer cette femme invraisemblable, de vivre un peu avec elle, notre arrière grand-mère, qui n’avait pas voulu de nous.
Photo des auteurs © Alexandre Guirkinger
Photo des auteurs sur Facebook © Marthe Le More