Le mot me venait en anglais : « glutted ». Je ressentais un trop-plein, mais vide de sens. Je n’arrivais plus à écrire depuis plusieurs années. Sentiment d’être parvenue au bout d’un système. J’allais me répéter à l’infini si je poursuivais ainsi.
À quoi ça tient : à un déclic, une blague de potache. Un ami photographe avec qui je travaillais alors sur les œuvres qui font mon quotidien me dit, émoustillé : « J’ai découvert que tu écrivais des romans. Voilà mon idée : écris un texte érotique, je ferai les photos sur chaque chapitre. » Moi piquée au vif : je n’écris plus, on ne me donne pas d’ordre, et dans ce domaine je ne travaille pas à quatre mains.
Mais bien entendu je me prends au jeu. Défi contre défi. À part moi : « Tu vas voir, je vais te produire un chapitre sur lequel tu ne pourras pas faire de photo. »
Il tombe dans le panneau. Se délecte du texte, le triture, veut le réécrire lui-même. Mais ne peut illustrer mes mots. Et pour cause. Le projet meurt avant d’être né.
Deux ans plus tard, je déterre ce chapitre. Obscur, forcément. Pas si mal, quand même. Cette ouverture, à la fin. Le rideau qui s’entrouvre sur une ministre de la Culture, un photographe… Assumons. Tirons les fils. Je travaille d’arrache-pied, soir après soir, pendant deux ans. Y jette mes obsessions : le regard, les tableaux, la création contemporaine. Le monde a changé, ma vie a changé : un roman intense et drôle. Qui ose le jeu érotique. Écrire sur aujourd’hui, raconter une manipulation et prendre le lecteur dans cette toile. Je m’y perds moi-même avec délices, je jubile. Parfois je ris toute seule.
Les événements tragiques de novembre 2015 me bloquent. Quand je m’y remets, soudain plus humble, plus grave, le roman prend un tour plus noir. Il a envie d’éructer. Il peint la société, ses dérives, sa folie et sa violence. Mais il exulte toujours, il court.
C’est bien ça : l’envie est revenue. La joie avec. Et le petit projet d’un autre roman, lui aussi déterré, me trotte à nouveau dans la tête. Il est question de voyage.