Le Off de mon livre, c’est ce grand carnet dans lequel je notais des idées, des données, des évènements, des renseignement sur des personnages à partir desquels se bâtissait l’intrigue. Un jour, je travaillais sur un point, puis un autre jour, sur un autre, ce qui a fini par créer un réseau, comme une connexion en toile.
J’ai fini par réaliser que cette méthode, cette élaboration en étoile, allait constituer le livre même, qu’un peu à l’image de Pierrot le fou, le montage créerait l’action, les cuts conférant un rythme, une respiration (si possible) haletante au texte.
Dans tout livre, il y a le sujet apparent et l’autre, celui qui apparaît au second plan, derrière, à côté, dessous. Pour celui-ci, on a beaucoup parlé de transhumanisme, mais le vrai sujet à mes yeux, c’est la cavale d’Álvaro, un jeune prof mexicain, surdoué de l’informatique, en fuite après les tragiques événements d’Iguala, une nuit de septembre 2014 où quarante-trois étudiants ont été enlevés et assassinés par la police, et d’Adèle. Le passage central, c’est quand ils partent en voiture, qu’ils se réapproprient leurs corps. Quand ils se touchent l’un autre, quand ils retrouvent les éléments, la route, la terre.
Le cœur du livre c’est cela, comment se réapproprier son corps après son aliénation économique et politique.
S’il y a évidemment de moi dans chacun de mes personnages (ils sont ce que je voudrais être, une projection idéale de moi-même, ce que je suis un peu, ou ce que je ne voudrais pas être), je n’ai pas la rage d’Alvaro, mais elle me passionne, elle m’attire.
Mais le point commun le plus évident entre mes personnages et moi, et cela vaut pour tous mes romans, c’est peut-être leur désir de mouvement, d’ailleurs. L’ailleurs dans l’espace, mes personnages voyageant toujours, ou presque. Et l’ailleurs dans le temps. Mon action se passe en 2015, mais aussi en 1960 et en 2020. C’est cela écrire, essayer d’être partout et dans tous les époques à la fois.
Photographie de Pierre Ducrozet : Jean-Luc Bertini