J’ai découvert l’écriture de Charlotte Delbo en 2011, au cours de mes recherches sur Ravensbrück pour mon roman Kinderzimmer ; elle m’a saisie comme nulle autre. Je suis entrée à Auschwitz-Birkenau par les mots, où je croyais exclu de pénétrer autrement que par l’expérience. Rescapée du camp, de ce lieu où le langage commun s’épuise à saisir un réel qui l’excède sans cesse, puis cède au silence et au néant des chambres à gaz, Charlotte Delbo lutte contre l’impuissance de la langue et clame contre bien des voix que la littérature peut tout rapporter, qu’il n’y a pas d’indicible. Elle invente une langue.
Je ne savais rien d’elle alors, qui fut résistante, déportée, poète. Je n’avais aucune image, aucune photographie. Je partageais l’ignorance commune qui a longtemps tenue dans l’ombre la femme et l’œuvre, comme tant d’œuvres de femmes. C’est plus tard que j’ai voulu, au-delà de ma pure sensation de lecture, comprendre son geste d’écriture. Sa nécessité profonde, sa genèse, son extraordinaire singularité dans le testament collectif des rescapés et témoins, elle qui dit être par l’écriture revenue d’entre les morts, quitte Auschwitz tandis qu’elle m’y conduit, affirme que la littérature sauve : son œuvre est un manifeste pour la littérature. Et comme elle fut vivante jusqu’à la mort, Charlotte Delbo, amoureuse, voyageuse, engagée, aimant les voitures de luxe et le vin !
Ce livre est mon voyage - d’une bibliothèque à l’autre, de ses livres aux archives, de ses mots à mes mots - et non le sien. J’émets seulement des hypothèses, tente de nommer ce processus intime à l’œuvre entre auteur et lecteur. Voici une traversée sur le fil mince, tremblant, qui nous relie l’un à l’autre, relie nos langues, nos morts, notre préférence pour la vie ; où la langue, au bout du compte, prend d’ « éclatantes revanches » sur les ténèbres les plus noires.
Et je voudrais, lecteur, que refermant ce livre, tu n’aies qu’un désir : la lire, et la partager à ton tour.